Segment de temps.

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La cage cède ses jetées liquides dans une brûlure myope, le miel cède au cloaque et l'ouate archaïque et tiède scelle son rang de premier temps béni ...

Le mensonge tombe. Lourd comme l’os de la vérité. La vierge enfance s'invente dans les choux rances des tendres peloteurs de fées et affûte les épines de la rose aux promesses éreintées.

Premier cri au harpon du jour, première froidure au derme de pétale pour caresse de l’aube et première tige qui fouille aux alvéoles les premiers déplis du souffle. Et dans la béance oubliée des cuisses grasses, premiers souvenirs comme une entaille dans l'oubli au badigeon des larmes, des glaires, et des urines touillés dans son jus de vernix.

Et premier sang de femme au visage pour premier goût du monde avant le premier lait.

Ainsi le monde entame son augure, ouvre son envergure et le dôme des vouloirs de bonne volonté, mais creuse les fosses basses du terreau mort des possibles et lance les sens fluets et affolés-déjà à l'assaut des fragments de ce temps qui mise, dicte lois sur tous, lance osselets et doigts de dés, joue au talion comme au hasard, à qui perd meurt, remise et rafle, et ose ses préférences, ignorant la litanie des héraldiques suppliantes des petits fennecs aux pupilles de puits, des engoulevents de brindilles terrés à la feuille brune, des papillons de nuit en prière mimétique sous les ressacs ravalés de la panique, jusqu'à l'oblitération du corps. Tout le bestiaire du vieux de Canaan, avec leurs pupilles de pluie, leurs peaux de poisson de grottes, leurs ouvrages de cartilage... et chacun ses panoplies, son artifice, sa façon d’habiller les peurs jusqu’à la calcification, pour entrer chacun dans son segment de temps aux bornes inconnues sans plier trop vite sous les ronces de ses vents et de ses tremblements, tremblant en pietà la posture du monde.

Trois souffles à peine et tout juste trois pichenettes de lumière et l'on porte en fagots de plomb déjà, sur la nef du dos, le chapelet des carcasses de l'Histoire et des familles.

Ô, goulées mirageuses. Le père de mon père mort de cajole à la soif ! D’échine courbe et perdue à cette soif repetita venue de strates indéchiffrables, une soif sans soif, qui vous suce, à cadences, depuis vos marais asséchés, vos chairs poreuses, depuis les zones de moelle, le nœud de gravité, depuis le muscle du sang, une soif qui vous ferait aboyer, miauler sous des jets de crache, lécher des ongles d'équarisseur, des caries de croque-mort-de-faim de Bénarès… pour de si tristes rasades. Une soif à attraction de pleine lune, à aspiration de folle marée de ventôse, une soif siamoise des âcres reflux de cette nuit noire d'été noir, ô cette nuit noire de ce temps, depuis sangsue à l'os, crocs au rachis, où maraudent dans les assoupissements les peurs et les ruades borgnes avec scansions des souvenirs bruts et sauvages de la chasse. La chasse à l'aide à perdre haleine dans les ruelles, ô mon père, comme à courre, qui est la bête? à perdre le lexique de la vie, ô mon père, et le tien, à l’article de la fin, et toi, chasseur frêle à l'élixir, à la potion, à la mémoire, à l'infini. En vain.

Et sa mort qui te laisse sa mort en couvade ad vitam…et de si tristes rasades aux promesses fardées….et des goulées mirageuses de noyade.

Et la mort encore! avait pondu dans les chairs du père de ma mère, égrenant nécroses et foyers d’ecchymoses, salives aux inocules, psalmodiant le décompte sous la croix, se pourlèchant neuf fois trente jours, toutes gencives dehors, et levant butin peu après mon premier soleil, cul et cris dans ce vieux chou à talures et tavelures, assez goûtu pour cette soupe où les rêves cuisent et confisent en résidus de fèves, et les insouciances réduisent, épaisses, en mauvaise patience. Et l’aïeul, sous les pinces, comme nu sur une table froide, sous les néons et la méthode, hébété du vertige de ses besoins d’amour et des affres du seul, sous ces pinces qui lui ôtent des flancs, pelotes de chair et filaments de souffle, tenait dans ses derniers bras maigres à peau de crêpe suzette diaphane aux veinules, sa fille qui portait la vie en creux et en abîme, mais l’outre-tombe en poids de poutre sur les épaules, en charnière, formant croix de silhouette, coite, faussement musclée par son silence et les laves de peines ravalées et les ruisselances bues de ses pleurs.

Soldate sans voix de sa vie, mais pétrifiée par le marbre de l’ordre du monde.

A l’orée de ces jours primitifs bordés au moelleux, vêtus tièdes au crochet, ces jours aux teintes pâles, chaussons et girafons, aux lignes de vie gorgées de talc, aux peluches chamaniques et aux tristes Mickeys, il y a, sous les pluies de regards, sous le doux des gorges et des poitrines, il y a le bloc du legs des pères et la coulée de l’offrande des mères, en tranches brouettées de ciment vivant, humus au mercure, à la source de chaque ampleur et de chaque pesanteur, ô, petit chou, petite chose dans son chou rance à l’empire du poids et des lois de la physique des familles, chargées de dons et grandies des substrats.

Puis vient l’heure des pas. De ce petit pas de plus sur le vertige de la branche ou du piton. Plutôt mourir ! Prendre le concave, la pente, le vent. Ou la mer, plate comme scélérate, mais qui couve ses lames de profondes humeurs et vortex et gouffres d’appétit. Et n’offre, dans les lumières insondables de son brasillement, aucun reflet de paix posée sur la faïence….S’il vous plaît…juste un petit morceau de paix posée sur la faïence, juste à côté du sucre et du gâteau…

Alors… on détord les nerfs et les doigts le temps de brûler des bouquets de cierges sous la voûte, on serre ventre comme un nœud et poing sur dent de lait, on arme son moins frêle sourire et l’on raidit son regard aux arides. Mais l’on sent dans la gorge l’autre chemin des larmes. Et puis, aux abords de la tangue fatale, tout à l’abrupt de l’occiput, de la cambre des lombes et du tendon, vibre, oscille et sourdine la grande ligne de défaille, comme une longue ravine des tremblements et des peurs.

On entre dans le rôle, on façonne, caparaçon de parades et de parures, tout un barda, et chacun sa kermesse, sa bonimenterie avec engorgements d’âcres vins, de sirops vertigo ou de ferments d’anis, ses gorgées de folies en échappées, en spirale, en drames, ses piluliers de joies et de rires raides, son ordonnance des oublis et ses frayeurs marranes, et parfois, créature pour la vie, avec juste sa peau sur la peur, on se glisse, on s’agenouille sous les rémiges de Dieu !

Mais s’il vous plaît…un petit fragment de paix sur la faïence…juste une paix, une petite paix glissée sous chaque pas, comme une paume sur les angles du chemin.

…Mais la paix, c’est dans la tombe, m’a-t-il dit…

alors, voceri pour les vivants !… et vogue la vie sous les vents et les vagues de ton segment de temps.