Le lien rêvé.


Dans la nuit du 10 au 11 juin 2002, mon père est mort, écorchant toutes les peaux de ma vie d’homme, laissant à vif l’enfant nu.

Alors … hurler comme un chien sous un voile noir que la vie n’a jamais changé de nuit, que cette mort laisse un amour-gâchis, le spectre d’une relation de nerfs et d’os, de molaires crissées, de silences à la lie, de rancunes en apnée et de regrets ras la gueule.

Mon père est mort et j’ai deux enfants. Clotilde et Geoffrey, mes petits, mes grands, mes anges.

Comment vivre au jour nouveau ? Que leur offrir avec ces souvenirs-encores d’amour taché, de craquelures dans le sable blanc, de quatre-heures à la cendre, d’éclats de peurs et d’amer ?

Mais la mort a ses vertus, la mort câline, souffle l’espoir, ranime les relations blessées à l’exsangue, épluche les lambeaux talés de la vie et offre de plonger le poing dans la chair du lien.

Faire fondre les ratés du passé pour couler des lendemains si beaux. Si beaux à sculpter, si beaux à la larme, à tenir chaud, si beaux à photographier. Pour donner couleur, sang, peau, éternité … au lien rêvé.

Alors … ce fut l’aurore de la chasse compensatoire, comme à la harde, la quête, sans recul, sans maîtrise, comme le squale file les poussières de sang, la langue du naja les tiédeurs corporelles.

Balbutier les désirs, exhausser les espoirs à la verticale du rêve, boire mathusalem l’émeraude liquide, gouler les larmes des rochers et bâtir à mains nues des battements de vie et de marbre brut.

Et puis … douter … calmer la spirale du jeu ? Trop tôt, trop beau ! Pas encore !

Alors … tamiser de nouveau son passé, lâcher les graviers dans le cours du pardon ou le mouvement de l’oubli, mais serrer les éclats dans les plis de sa peau. Muter l’horizon en œuvre de grâce, mettre sous écrin l’intime jusqu’à la fibre, l ‘émotion en sa pulpe.

Rêver le bonheur dans chaque cillement, chaque commissure, chaque atome d’enfant.

Douter plus avant, voir moins brume dans son jeu, déceler les stratagèmes de la mort dans cette course à la relation absolue, matrice de tous les futurs.

Cadeau-fardeau ! Renoncer à bâtir avec la vie un autel pour le temps de la mort, cesser de vouloir glisser son macchab dans leur corps d’un autre âge, la soif d’amour dans leur cœur à choisir, la peur d’être oubli dans leur vie.

Cadeau-fardeau ! Et que je te repasse les reliques et la braise, d’une paume l’autre, de père en fils en fille, d’âme en âme.

Souffler pour attiser la flamme, la foi, l’idée de soi, quand même !

Souffler plutôt pour apaiser la brûlure en son sillage, empêcher que le don ne vire à la scarification vivante en dévoration.

Laisser le cri dire son onde… et leur glisser dans les mains les fleurs à colorier de la nouvelle tangente du lien rêvé.