Sa bouche.


Je crois que sa bouche souriait des lunes infinies et des promesses d’autres mondes à soleils de satin.

Infinies et grêlées.

Sa bouche ourlait en lèvres vives, n’est-ce-pas ?

Et dessinait mon attente comme un ciel affamé de ses mots que je guettais comme du pain.

Des mots de larmes d’or et de fumée qui faisaient jalons et teintes dans la cause du temps.

Et qui jamais n’usèrent leur pouvoir de m’allonger sur un horizon sioux, sur un dos de fauve suave et sur des ombres orphelines ou marronnes. Et de me bercer sur un remous d’édredon et de vent.

Des mots voisés et d’autres pas.

Sa bouche était un monde, n’est-ce-pas?

Petit comme un sourire, et vaste comme le même et qui tenait pourtant dans une noix de pulpe pétrie en deux courbes de doigts par la grâce d’un Dieu de la bonne face.

La matrice et la ramure, en somme. Et le plafond.

… et qui ne tremblait pas, je veux croire, comme en ce jour.

Une bouche toute pourvoyeuse de baisers qui m’avalaient, me miroitaient comme sa chose et son malgré, suçaient mes doigts d’épeire et de morve et la sueur de mes cheveux. Et me trompaient sur ma laideur. Je le sais, je te dis que je l’ai vu sur la photo.

Et puis, les souvenirs de la peau jamais ne mentent, n’est-ce-pas?

Sa bouche changeait de robes et de chants et s’ouvrait par éclats comme un rideau rouge sur un ornement de dents d’une douceur plus douce que la blancheur, là, lustrées comme une herse de perles qui buvait la lumière, et la renvoyait, car l’on sait dès le premier jour que la racine hurle sous le nu.

Ses dents comme une rangée vivante d’ivoire dévoilé qui finissait le crâne et masquait un firmament et son gouffre.

Puis les lunes passèrent, passèrent aux chants des cycles et des humeurs d’y-revenirs pâles, ou incarnats, ou absents. Et qui faisaient la règle.

Les lunes passèrent sans qu’elle ne vit vraiment ma colonne forcir en rêves de brames et de ruades… mais sans voir non plus son chemin en torsions de saule, ni mes yeux en bourgeons qui fouillaient le sol… ni la peau de mon courage prendre pâleur de racine, ni l’ombilic resté bleu depuis le jour du geste.

Et vers elle, mon regard de chien de buveur.

Et les lunes passèrent et passèrent jusqu’à ce soir où elle rentra, bouche vierge de toutes dents. Ce fut le travail d’un homme de métier et de promesse de lui rendre ce sourire que je lui croyais éternel.

Pas une dent ne resta, ni souche, ni surgeon, ou souvenir. Et le masque changea. Et sa face cachée, sous un effroi de miroir, se cacha.

Alors ses doigts tremblèrent en herbes folles devant sa bouche, à l’orée Nord de sa main et au ponant du geste. Main à dorsure tout en os de fourchette et squelette de marionnette si près sous sa peau toute en soieries et nervures, et à la marque des constellations tardives de ces fleurs qu’on appelle gerçures et tavelures.

Cette main qui caressait, n’est-ce-pas?… mais sous le tremblement, là, comme un petit animal de premier battement, ou comme une vieille princesse dénudée sous la foule, là, sous tout le tremblement de mal cacher tout ce rose, cet humide et ce secret de bouche qui luisait dans le vertige de cette alcôve de muqueuses chouinant ses mots, et les roulant de salive, et les fondant aussi et gardant en joues leur jus d’efforts pour conserver toute leur dignité de mots.

Des mots apprivoisés et d’autres pas.

Et cette pauvre main à la peau trop lâche de nuisette et à la rescousse de la honte et dans une double posture ajourante et voûtée de voile et de défaille, et de tête penchée.

Et c’est là que le monde s’affaissa d’un bloc et d’au moins quatre strates, et s’empêcha de céder à cette montée de goût du nouveau, comme un renvoi macéré d’âcre et de reflux, un goût du nouveau, pas de dégoût, non, il ne faut pas, mais dans ses parages, et dans l’étreinte jumelle de cette sensation claquée de lame, et sa vitesse dans le flanc, et sa couleur d’eau glacée dans le tendre du foie, et la frayeur de voir poindre de la fente mouvante, derrière la silhouette allongée de gencives torves et luisantes et menaces, car jamais un rose ne fut si menace, et frêle comme la supplique… les deux grands yeux noirs qui appellent... et font derniers jalons et teintes veuves.

Et, comme porté par le mort et son souvenir de surplomb et de cave, j’entendais cet Ave Maria du souffle, celui de l’altru mondu, que tous connaissent et portent au creux sur l’Île. Celui qui vous réduit à l’axe du destin et marque le chemin.

Je regardais ma mère, sa bouche et son sourire d’âge, de gêne et de vulve.